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manquait à l’un, l’autre le lui donnait. Dans cet échange quotidien de nos facultés, il apportait l’idée, moi le sentiment ; la critique, moi l’inspiration ; la science, moi l’imagination. Il n’écrivait jamais rien ; il était comme ces esprits délicats qui ne se satisfont jamais de leur œuvre et qui préfèrent la garder éternellement à l’état de conception dans leur sein plutôt que de la produire imparfaite et de profaner leur idéal en le manifestant. Ce sont les plus grands esprits. Ils désespèrent d’atteindre jamais par la parole, par l’art et par l’action a la grandeur de leurs pensées. Ils vivent stériles ; mais ce n’est pas par impuissance : c’est par excès de force et par la passion maladive de la perfection. Ces hommes sont les vierges de l’esprit. Ils n’épousent que leur idéal et meurent sans rien laisser d’eux à la terre. C’est ainsi que Virieu est mort en emportant un génie inconnu avec lui.


XIX


Rentrés en France, nous ne nous quittâmes presque plus. A Paris, nous habitions ensemble. L’été, j’allais passer des mois entiers au sein de sa famille, dans la solitude de sa demeure en Dauphiné, entre sa mère, toute consacrée à Dieu, et sa plus jeune sœur, toute consacrée à sa mère et à lui. Cette sœur (son nom était Stéphanie), quoique jeune, riche et charmante, avait dès lors renoncé au monde et au mariage pour se dévouer tout entière à sa famille et à la peinture, dont elle avait le génie. Elle était le Greuze des femmes.

Nous passions les longues journés de l’automne at lui