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ses cheveux. Sa figure, toute jeune et toute naïve, brille seule au milieu de ces couleurs sombres.

Le temps a un peu enlevé la fraîcheur du coloris de quinze ans. Mais les traits sont aussi purs que si le pinceau du peintre n’était pas encore séché sur la palette. On y retrouve ce sourire intérieur de la vie, cette tendresse intarissable de l’âme et du regard, et surtout ce rayon de lumière si serein de raison, si imbibé de sensibilité, qui ruisselait comme une caresse éternelle de son œil un peu profond et un peu voilé par la paupière, comme si elle n’eût pas voulu laisser jaillir toute la clarté et tout l’amour qu’elle avait dans ses beaux yeux. On comprend, rien qu’à voir ce portrait, toute la passion qu’une telle femme dut inspirer à mon père, et toute la piété que plus tard elle devait inspirer à ses enfants.

Mon père lui-même, à cette époque, était digne par son extérieur et par son caractère de s’attacher le cœur d’une femme sensible et courageuse. Il n’était plus très-jeune : il avait trente-huit ans. Mais pour un homme d’une forte race, qui devait mourir jeune encore d’esprit et de corps à quatre-vingt-dix ans, avec toutes ses dents, tous ses cheveux et toute la sévère et imposante beauté que la vieillesse comporte, trente-huit ans, c’était la fleur de la vie. Sa taille élevée, son attitude militaire, ses traits mâles, avaient tout le caractère de l’ordre et du commandement. La fierté douce et la franchise étaient les deux empreintes que sa physionomie laissait dans le regard. Il n’affectait ni la légèreté ni la grâce, bien qu’il y en eût beaucoup dans son esprit. Avec un prodigieux bouillonnement du sang au fond du cœur, il paraissait froid et indifférent à la surface, parce qu’il se craignait lui-même, et qu’il avait comme honte de sa sensibilité.