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lit sans matelas, sur lequel on étendait du foin ou de la paille, des draps, une couverture, une chaise et un banc. L’appui de la fenêtre me servait de table à écrire. Je m’y installai.

J’allais deux fois par jour, le matin et le soir, prendre ~mes repas au village chez le batelier et avec lui. Du pain bis, des œufs, du poisson frit, du vin acide et âpre du pays, composaient pour nous ce repas. Le batelier était honnête, sa fille était obligeante et attentive. Après quelques jours de vie en commun, nous étions amis. J’envoyais le batelier chercher une fois la semaine des livres et des nouvelles au cabinet littéraire de Lausanne ou de Nyons. J’avais de l’encre, des crayons, du papier. Je passais les journées de pluie à lire et à écrire dans ma chambre, les journées de soleil a suivre sur la grève les longues sinuosités des bords du lac ou les sentiers inconnus dans les bois de châtaigniers. Le soir, je restais longtemps après souper à user les heures de l’obscurité dans la maison du batelier, causant avec lui, avec sa fille. quelquefois avec l’instituteur et le curé du village, qui s’attardaient auprès de nous, Rentré dans ma chambre, j’y retrouvais avant le sommeil le murmure assoupissant du lac qui roulait et reprenait les cailloux à chaque lame.

Ma chambre était si près de l’eau que, les jours de tempête, les vagues, en se brisant, jetaient leur écume jusque sur ma fenêtre. Je n’ai jamais tant étudié les murmures, les plaintes, les colères, les tortures, les gémissements et les ondulations des eaux que pendant ces nuits et ces jours passés ainsi tout seul dans la société monotone d’un lac. J’aurais fait le poëme des eaux sans en omettre la moindre note. Jamais non plus je n’ai tant joui de la solitude, ce linceul volontaire de l’homme où il