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IX


Je compris ces motifs, je ne cherchai point a les réfuter ; mon extrême timidité d’ailleurs devant la femme et devant le génie ne me laissait pas envisager sans terreur une présentation à madame de Staël. Apercevoir et adorer de loin un éclair de gloire sous ses traits, c’était assez pour moi. J’eus ce bonheur.

J’appris, quelques jours après cet entretien, que madame de Staël, accompagnée de madame Récamier, qui se trouvait alors à Coppet, allait souvent se promener le soir en calèche sur la route de Lausanne. Je m’informai de l’heure habituelle de ces promenades. Elles variaient selon les circonstances. Je résolus donc de passer une journée entière sur la route, de peur de manquer l’occasion. Je pris le prétexte d’une course sur le Jura. Je sortis dès le matin, emportant un peu de pain et un volume de Corinne, et je me mis en embuscade sous un buisson, assis sur la douve, les pieds dans le fossé de la grande route.

Les heures s’écoulèrent. Des centaines de voitures passèrent sur le grand chemin sans qu’aucune d’elles renfermât de femmes sur le visage desquelles je pusse lire les noms de madame de Staël et de madame Récamier. J’allais me retirer triste et chagrin quand un nuage de poussière s’éleva à ma droite sur la route du côté de Coppet. C’étaient deux calèches découvertes attelées de chevaux magnifiques, et qui roulaient vers Lausanne. Madame de Staël et madame Récamier passèrent devant moi avec la rapidité de l’éclair. A peine eus-je le temps d’apercevoir à travers la poussière des roues une femme