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une grande et haute maison percée de fenêtres rares et dont les murs élevés, massifs et noircis par la pluie et éraillés par le soleil, sont reliés depuis plus d’un siècle par de grosses clefs de fer. Une porte haute et large, précédée d’un perron de deux marches, donne entrée dans un long vestibule, au fond duquel un lourd escalier en pierre brille au soleil par une fenêtre colossale et monte d’étage en étage pour desservir de nombreux et profonds appartements. C’est là la maison où je suis né.


IV


Mon grand-père vivait encore. C’était un vieux gentilhomme qui avait servi longtemps dans les armées de Louis XV, et avait reçu la croix de Saint-Louis à la bataille de Fontenoy. Rentré dans sa province avec le grade de capitaine de cavalerie, il y avait rapporté les habitudes d’élégance, de splendeur et de plaisir contractées à la cour ou dans les garnisons. Possesseur d’une belle fortune dans son pays, il avait épousé une riche héritière de Franche-Comté, qui lui avait apporté en dot de belles terres et de grandes forêts dans les environs de Saint-Claude et dans les gorges du Jura, non loin de Genève. Il avait six enfants, trois fils et trois filles. D’après les idées du temps, la fortune de la famille avait été destinée tout entière à l’aîné de ces fils. Le second était entré malgré lui dans l’état ecclésiastique, pour lequel il n’avait. aucune vocation. Des trois filles, deux avaient été élevées dans des couvents, l’autre était chanoinesse et avait fait ses vœux. Mon père était le dernier né de cette nombreuse famille. Dès l’âge de seize ans on l’avait mis au