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X


Je rentrai en silence dans ma chambre. Je me jetai tout habillé sur mon lit. J’essayai de lire, d’écrire, de penser, de me distraire par quelque travail d’esprit pénible et capable de dominer mon agitation. Tout fut inutile. L’agitation intérieure était si forte que je ne pus avoir deux pensées et que l’accablement même de mes forces ne put pas amener le sommeil. Jamais l’image de Graziella ne m’avait apparu jusque-là aussi ravissante et aussi obstinée devant les yeux. J’en jouissais comme de quelque chose qu’on voit tous les jours et dont on ne sent la douceur qu’en la perdant. Sa beauté même n’était rien pour moi jusqu’à ce jour ; je confondais l’impression que j’en ressentais avec l’effet de l’amitié que j’éprouvais pour elle et de celle que sa physionomie exprimait pour moi. Je ne savais pas qu’il y eût tant d’admiration dans mon attachement ; je ne soupçonnais pas la moindre passion dans sa tendresse.

Je ne me rendis pas bien compte de tout cela, même dans les longues circonvolutions de mon cœur pendant l’insomnie de cette nuit. Tout était confus dans ma douleur comme dans mes sensations. J’étais comme un homme étourdi d’un coup soudain qui ne sait pas encore bien d’où il souffre, mais qui souffre de partout.

Je quittai mon lit avant qu’aucun bruit se fît entendre dans la maison. Je ne sais quel instinct me portait à m’éloigner pendant quelque temps, comme si ma présence eût dû troubler dans un pareil moment le sanc-