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que Graziella, qui était si bonne, prendrait avec elle et élèverait ses deux petits frères comme ses propres enfants ; que leurs vieux jours à eux-mêmes seraient ainsi assurés contre la misère ; qu’ils avaient consenti avec reconnaissance à ce mariage ; qu’ils en avaient parlé à Graziella ; qu’elle n’avait rien répondu, par timidité et par modestie de jeune fille ; que son silence et ses larmes étaient l’effet de sa surprise et de son émotion, mais que cela passerait comme une mouche sur une fleur ; enfin qu’entre le père de Cecco et eux il avait été convenu qu’on ferait les fiançailles après les fêtes de Noël.


IX


Ils parlaient encore que depuis longtemps je n’entendais déjà plus. Je ne m’étais jamais rendu compte à moi-même de l’attachement que j’avais pour Graziella. Je ne savais pas comment je l’aimais ; si c’était de l’intimité pure, de l’amitié, de l’amour, de l’habitude ou de tous ces sentiments réunis que se composait mon inclination pour elle. Mais l’idée de voir ainsi soudainement changées toutes ces douces relations de vie et de cœur qui s’étaient établies et comme cimentées à notre insu entre elle et moi ; la pensée qu’on allait me la prendre pour la donner tout à coup à un autre ; que, de ma compagne et de ma sœur qu’elle était à présent, elle allait me devenir étrangère et indifférente ; qu’elle ne serait plus là ; que je ne la verrais plus à toute heure, que je n’entendrais plus sa voix m’appeler ; que je ne lirais plus dans ses yeux ce rayon toujours levé sur moi de lumière caressante et de tendresse, qui m’éclairait