Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 29.djvu/236

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

garder comme inséparable de son cœur, qu’elle ne s’apercevait peut-être pas elle-même de toute la place que j’y tenais. Elle n’avait avec moi aucune de ces craintes, de ces réserves, de ces pudeurs, qui s’interposent dans les relations d’une jeune fille et d’un jeune homme et qui souvent font naître l’amour des précautions mêmes que l’on prend pour s’en préserver. Elle ne se doutait pas et je me doutais à peine moi-même que ses pures grâces d’enfant, écloses maintenant à quelques soleils de plus, dans tout l’éclat d’une maturité précoce, faisaient de sa beauté naïve une puissance pour elle, une admiration pour tous et un danger pour moi. Elle ne prenait aucun souci de la cacher ou de la parer à mes yeux. Elle n’y pensait pas plus qu’une sœur ne pense si elle est belle ou laide aux yeux de son frère. Elle ne mettait pas une fleur de plus ou de moins pour moi dans ses cheveux. Elle n’en chaussait pas plus souvent ses pieds nus quand elle habillait le matin ses petits frères sur la terrasse au soleil, ou qu’elle aidait sa grand-mère à balayer les feuilles sèches tombées la nuit sur le toit. Elle entrait à toute heure dans ma chambre, toujours ouverte, et s’asseyait aussi innocemment que Beppino sur la chaise au pied de mon lit.

Je passais moi-même, les jours de pluie, des heures entières seul avec elle dans la chambre à côté, où elle dormait avec les petits enfants, et où elle travaillait le corail. Je l’aidais, en causant et en jouant, à son métier qu’elle m’apprenait. Moins adroit mais plus fort qu’elle, je réussissais mieux à dégrossir les morceaux. Nous faisions ainsi double ouvrage, et dans un jour elle en gagnait deux.

Le soir, au contraire, quand les enfants et la famille étaient couchés, c’était elle qui devenait l’écolière et moi