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satisfait à ses devoirs de fils et de frère. Il me prêta cinquante louis pour combler le vide que ces six mois avaient fait dans ma bourse, et il partit.


III


Ce départ, l’absence de cet ami, qui était pour moi ce qu’un frère plus âgé est à un frère presque enfant, me laissèrent dans un isolement que toutes les heures m’approfondissaient et dans lequel je me sentais enfoncer comme dans un abîme. Toutes mes pensées, tous mes sentiments, toutes mes paroles, qui s’évaporaient autrefois en les échangeant avec lui, me restaient dans l’âme, s’y corrompaient, s’y attristaient et me retombaient sur le cœur comme un poids que je ne pouvais plus soulever. Ce bruit où rien ne m’intéressait, cette foule où personne ne savait mon nom, cette chambre où aucun regard ne me répondait, cette vie d’auberge où l’on coudoie sans cesse des inconnus, où l’on s’assied à une table muette à côté d’hommes toujours nouveaux et toujours indifférents ; ces livres qu’on a lus cent fois, et dont les caractères immobiles vous redisent toujours les mêmes mots dans la même phrase et à la même place ; tout cela qui m’avait semblé si délicieux à Rome et à Naples, avant nos excursions et notre vie vagabonde et errante de l’été, me semblait maintenant une mort lente. Je me noyais le cœur de mélancolie.

Je traînai quelques jours cette tristesse de rue en rue, de théâtre en théâtre, de lecture en lecture, sans pouvoir la secouer ; puis enfin elle finit par me vaincre. Je tombai malade, de ce qu’on appelle le mal du pays.