Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 29.djvu/196

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lisait pas ces grandes épreuves où nous nous précipitions en idée, nous nous vengions d’avance en la méprisant. Nous avions en nous-mêmes cette consolation des âmes fortes : que si notre vie restait inutile, vulgaire et obscure, c’était la fortune qui nous manquerait, ce n’était pas nous qui aurions manqué à la fortune !


V


Quand le soleil baissait, nous faisions de longues courses à travers l’île. Nous la traversions dans tous les sens. Nous allions à la ville acheter le pain ou les légumes qui manquaient au jardin d’Andréa. Quelquefois nous rapportions un peu de tabac, cet opium du marin, qui l’anime en mer et qui le console à terre. Nous rentrions à la nuit tombante, les poches et les mains pleines de nos modestes munificences. La famille se rassemblait, le soir sur le toit qu’on appelle à Naples l’astrico, pour attendre les heures du sommeil. Rien de si pittoresque, dans les belles nuits de ce climat, que la scène de l’astrico au clair de la lune.

À la campagne, la maison basse et carrée ressemble à un piédestal antique, qui porte des groupes vivants et des statues animées. Tous les habitants de la maison y montent, s’y meuvent ou s’y assoient dans des attitudes diverses ; la clarté de la lune ou les lueurs de la lampe projettent et dessinent ces profils sur le fond bleu du firmament. On y voit la vieille mère filer, le père fumer sa pipe de terre cuite à la tige de roseau, les jeunes garçons s’accouder sur le rebord et chanter en longues notes traînantes ces airs marins ou champêtres dont l’accent pro-