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toyen, allume dans l’âme d’Ortis une fièvre dont l’accès, trop fort pour un homme sensible et maladif, produit enfin le suicide. Ce livre, copie littérale mais coloriée et lumineuse du Werther de Gœthe, était alors entre les mains de tous les jeunes hommes qui nourrissaient, comme nous, dans leur âme, ce double rêve de ceux qui sont dignes de rêver quelque chose de grand : l’amour et la liberté.


III


La police de Bonaparte et de Murat proscrivait en vain l’auteur et le livre. L’auteur avait pour asile le cœur de tous les patriotes italiens et de tous les libéraux de l’Europe. Le livre avait pour sanctuaire la poitrine des jeunes gens comme nous ; nous l’y cachions pour en aspirer les maximes. Des deux autres volumes que nous avions sauvés, l’un était Paul et Virginie, de Bernardin de Saint-Pierre, ce manuel de l’amour naïf ; livre qui semble une page de l’enfance du monde arrachée à l’histoire du cœur humain et conservée toute pure et toute trempée de larmes contagieuses pour les yeux de seize ans.

L’autre était un volume de Tacite, pages tachées de débauche, de honte et de sang, mais où la vertu stoïque prend le burin et l’apparente impassibilité de l’histoire pour inspirer à ceux qui la comprennent la haine de la tyrannie, la puissance des grands dévouements et la soif des généreuses morts.

Ces trois livres se trouvaient par hasard correspondre aux trois sentiments qui faisaient dès lors, comme par