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larges pattes emplumées et aux ailes blanches tigrées de noir, becquetant des grains de maïs sur le mur en parapet de la terrasse, étaient le seul signe de vie qui animât la maison. Nous montâmes sans bruit sur le toit ; nous y trouvâmes la famille profondément endormie. Tous, excepté les enfants, dont les jolies têtes reposaient à côté l’une de l’autre sur le bras de Graziella, sommeillaient dans l’attitude de l’affaissement produit par la douleur.

La vieille mère avait la tête sur ses genoux, et son haleine assoupie semblait sangloter encore. Le père était étendu sur le dos, les bras en croix, en plein soleil. Les hirondelles rasaient ses cheveux gris dans leur vol. Les mouches couvraient son front en sueur. Deux sillons creux et serpentant jusqu’à sa bouche attestaient que la force de l’homme s’était brisée en lui et qu’il s’était assoupi dans les larmes.

Ce spectacle nous fendit le cœur La pensée du bonheur que nous allions rendre à ces pauvres gens nous consola. Nous les éveillâmes. Nous jetâmes aux pieds de Graziella et de ses petits frères, sur le plancher du toit, les pains frais, le fromage, les salaisons, les raisins, les oranges, les figues, dont nous nous étions chargés en route. La jeune fille et les enfants n’osaient se lever au milieu de cette pluie d’abondance qui tombait comme du ciel autour d’eux. Le père nous remerciait pour sa famille. La grand-mère regardait tout cela d’un œil terne. L’expression de sa physionomie se rapprochait plus de la colère que de l’indifférence.

« Allons, Andréa, dit mon ami au vieillard, l’homme ne doit pas pleurer deux fois ce qu’il peut racheter avec du travail et du courage. Il y a des planches dans les forêts et des voiles dans le chanvre qui pousse. Il n’y a que