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presque écossaises, à la saison de l’année et à la mélancolie des sites où je le lisais. C’était dans les âpres frissons de novembre et de décembre. La terre était couverte d’un manteau de neige percé çà et là par les troncs noirs de sapins épars, ou surmonté par les branches nues des chênes où s’assemblaient et criaient les volées de corneilles. Les brumes glacées suspendaient le givre aux buissons. Les nuages ondoyaient sur les~ cimes ensevelies des montagnes. De rares échappées de soleil les perçaient par moments et découvraient de profondes perspectives de vallées sans fond, où l’œil pouvait supposer des golfes de mer. C’était la décoration naturelle et sublime des poëmes d’Ossian que je tenais à la main. Je les emportai dans mon carnier de chasseur sur les montagnes, et, pendant que les chiens donnaient de la voix dans les gorges. je les lisais assis sous quelque rocher concave, ne quittant la page des yeux que pour trouver à l’horizon, à mes pieds, les mêmes brouillards, les mêmes nuées, les mêmes plaines de glaçons ou de neige que je venais de voir en imagination dans mon livre. Combien de fois je sentis mes larmes se congeler au bord de mes cils ! J’étais devenu un des fils du barde, une de ces ombres héroïques, amoureuses, plaintives, qui combattent, qui aiment, qui pleurent ou qui chantent sur la harpe dans les sombres domaines de Fingal. Ossian est certainement une des palettes où mon imagination a broyé le plus de couleurs, et qui a laissé le plus de ses teintes sur les faibles ébauches que j’ai tracées depuis. C’est l’Eschyle de nos temps ténébreux. Des érudits curieux ont prétendu et prétendent encore qu’il n’a jamais existé ni écrit, que ses poëmes sont une supercherie de Macpherson. J’aimerais autant dire que Salvator Rosa a inventé la nature !