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de félicité intérieure que répandait en moi le sentiment de ma liberté dans le site de mon enfance, au sein de ma famille. C’était la conquête de mon âge de virilité. Ma mère m’avait fait préparer une petite chambre à moi seul, prise dans un angle de la maison et dont la fenêtre ouvrait sur l’allée solitaire de noisetiers. Il y avait un lit sans rideaux, une table, des rayons contre le mur pour ranger mes livres. Mon père m’avait acheté les trois compléments de la robe virile d’un adolescent, une montre, un fusil et un cheval, comme pour me dire que désormais les heures, les champs, l’espace, étaient à moi. Je m’emparai de mon indépendance avec un délire qui dura plusieurs mois. Le jour était donné tout entier à la chasse avec mon père, à panser mon cheval à l’écurie ou à galoper, la main dans sa crinière, dans les prés des vallons voisins ; les soirées aux doux entretiens de famille dans le salon, avec ma mère, mon père, quelques amis de la maison, on a des lectures à haute voix des historiens et des poëtes.

Outre ces livres instructifs vers la lecture desquels mon père dirigeait sans affectation ma curiosité, j’en avais d’autres que je lisais seul. Je n’avais pas tardé a découvrir l’existence des cabinets de lecture à Mâcon ou on louait des livres aux habitants des campagnes voisines. Ces livres, que j'allais chercher le dimanche, étaient devenus pour moi la source inépuisable de solitaires délectations. J’avais entendu les titres de ces ouvrages retentir au collège dans les entretiens des jeunes gens plus avancés en âge et en instruction que moi. Je me faisais un véritable Éden imaginaire de ce monde des idées ; des poëmes et des romans qui nous étaient interdits par la juste sévérité de nos études.

Le moment où cet Éden me fut ouvert, où j’entrai pour