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Enfin, après l’année qu’on appelle de philosophie, année pendant laquelle on torture par des sophismes stupides et barbares le bon sens naturel de la jeunesse pour le plier aux dogmes régnants et aux institutions convenues, je sortis du collège pour n’y plus rentrer. Je n’en sortis pas sans reconnaissance pour mes excellents maîtres : mais j’en sortis avec l’ivresse d’un captif qui aime ses geôliers sans regretter les murs de sa prison. J’allais me plonger dans l’océan de liberté auquel je n’avais pas cessé d’aspirer ! Oh ! comme je comptais heure par heure ces derniers jours de la dernière semaine où notre délivrance devait sonner ! Je n’attendis pas qu’on m’envoyât chercher de la maison paternelle ; je partis en compagnie de trois élèves de mon âge qui rentraient dans leur famille comme moi, et dont les parents habitaient les environs de Mâcon. Nous portions notre petit bagage sur nos épaules, et nous nous arrêtions de village en village et de ferme en ferme, dans les gorges sauvages du Bugey. Les montagnes, les torrents, les cascades, les ruines sous les rochers, les chalets sous les sapins et sous les hêtres de ce pays tout alpestre, nous arrachaient nos premiers cris d’admiration pour la nature. C’étaient nos vers grecs et latins traduits par Dieu lui-même en images grandioses et vivantes, une promenade à travers la poésie de sa création. Toute cette route ne fut qu’une ivresse.


V


De retour à Milly quelques jours avant la chute des feuilles, je crus ne pouvoir épuiser jamais les torrents