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horizon de silence, de solitude et de recueillement. Mon âme se portait avec d’indicibles élans vers ces prés, vers ces bois, vers ces eaux ; il me semblait que la félicité suprême était de pouvoir y égarer à volonté mes pas, comme j’y égarais mes regards et mes pensées, et si je pouvais saisir dans les gémissements du vent, dans les chants du rossignol, dans les bruissements des feuillages, dans le murmure lointain et répercuté des chutes d’eau, dans les tintements des clochettes des vaches sur la montagne, quelques-unes des notes agrestes, des réminiscences d’oreille de mon enfance à Milly, des larmes de souvenir, d’extase, tombaient de mes yeux sur la pierre de la fenêtre, et je rentrais dans mon lit pour y rouler longtemps en silence, dans mes rêves éveillés, les images éblouissantes de ces visions.

Elles se mêlaient de jour en jour davantage dans mon âme avec les pensées et les visions du ciel. Depuis que l’adolescence, en troublant mes sens, avait inquiété, attendri et attristé mon imagination, une mélancolie un peu sauvage avait jeté comme un voile sur ma gaieté naturelle et donné un accent plus grave à mes pensées comme au son de ma voix. Mes impressions étaient devenues si fortes, qu’elles en étaient douloureuses. Cette tristesse vague que toutes les choses de la terre me faisaient éprouver m’avait tourné vers l’infini. L’éducation éminemment religieuse qu’on nous donnait chez les jésuites, les prières fréquentes, les méditations, les sacrements, les cérémonies pieuses répétées, prolongées, rendues plus attrayantes par la parure des autels, la magnificence des costumes, les chants, l’encens, les fleurs, la musique, exerçaient sur des imaginations d’enfants ou d’adolescents de vives séductions. Les ecclésiastiques qui nous les prodiguaient s’y abandonnaient les