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physionomies heureuses. J’étais aigri et endurci ; je me laissai attendrir et séduire. Je me pliai de moi-même à un joug que d’excellents maîtres savaient rendre doux et léger. Tout leur art consistait à nous intéresser nous-mêmes aux succès de la maison et à nous conduire par notre propre volonté et par notre propre enthousiasme. Un esprit divin semblait animer du même souffle les maîtres et les disciples. Toutes nos âmes avaient retrouvé leurs ailes et volaient d’un élan naturel vers le bien et vers le beau. Les plus rebelles eux-mêmes étaient soulevés et entraînés dans le mouvement général. C’est là que j’ai vu ce que l’on pouvait faire des hommes, non en les contraignant, mais en les inspirant. Le sentiment religieux qui animait nos maîtres nous animait tous. Ils avaient l’art de rendre ce sentiment aimable et sensible, et de créer en nous la passion de Dieu. Avec un tel levier placé dans nos propres cœurs, ils soulevaient tout. Quant à eux, ils ne faisaient pas semblant de nous aimer, ils nous aimaient véritablement, comme les saints aiment leurs devoirs, comme les ouvriers aiment leurs œuvres, comme les superbes aiment leur orgueil. Ils commencèrent par me rendre heureux ; ils ne tardèrent pas à me rendre sage. La piété se ranima dans mon âme. Elle devint le mobile de mon ardeur au travail. Je formai des amitiés intimes avec des enfants de mon âge aussi purs et aussi heureux que moi. Ces amitiés nous refaisaient, pour ainsi dire, une famille. Arrivé trop tard dans les dernières classes, puisque j’avais déjà passé douze ans, je marchai vite aux premières. En trois ans ]’avais tout appris. Je revenais chaque année chargé des premiers prix de ma classe. J’en avais du bonheur pour ma mère, je n’en avais aucun orgueil pour moi. Mes camarades et mes rivaux me pardonnaient mes succès, parce qu’ils