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chia, servant de guide aux nouveaux débarqués dans l’île, entra et m’annonça inopinément un étranger.

Je vis s’approcher un jeune homme de haute et souple stature ; d’une démarche lente et mesurée comme celle de quelqu’un qui porte une pensée et qui craint de la répandre ; d’un visage mâle et doux, encadré d’une barbe noire ; d’un profil qui se découpait sur le ciel bleu en deux pures lignes grecques, comme ces physionomies des jeunes disciples de Platon qu’on retrouve dans le sable du Pirée, sur des médailles ou sur des pierres taillées d’un blanc bistre. Je reconnus la démarche, le profil et la voix timbrée d’Eugène Pelletan, un des amis de mon second âge. Tu connais ce nom comme celui d’un des écrivains qui ont le plus de lueur matinale de notre gloire future sur leurs premières pages, pressentiments vivants des idées qui vont éclore, précurseurs du siècle où nous ne serons présents que par nos vœux. J’aime Pelletan de cet attrait qu’on a pour l’avenir. Je le reçois comme une bonne nouvelle et comme un ami. Il est de ces hommes qui n’importunent jamais, mais qui, vous aident à penser comme a sentir.

Il avait laissé sa jeune et gracieuse femme dans une maison de la plage. Après avoir causé un moment de la France et de cette île, où il avait appris, par hasard, à Naples, que j’étais retiré, il vit des pages sur mes genoux, un crayon a demi usé entre mes doigts. Il me demanda ce que je faisais. « Voulez-vous l’entendre, lui dis-je, pendant que votre jeune femme dort pour se reposer de la traversée, et que vous vous reposerez vous-même contre ce tronc d’oranger ? Je vais vous lire. » Et je lui lus, pendant que le soleil baissait derrière l’Epomeo, haute montagne de l’ile, quelques-unes des pages de l’histoire de Graziella. Le lieu, l’heure, l’ombre, le ciel,