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NOTE DOUZIÈME


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Un faux rayon de vie errant par intervalle.


Jusque-là nous avions eu presque tous assez de force pour retenir nos larmes ; mais le voyant boire, et après qu’il eut bu, nous n’en fûmes plus les maîtres. Pour moi, malgré tous mes efforts, mes larmes s’échappèrent avec tant d’abondance, que je me couvris de mon manteau pour pleurer sur moi-même ; car ce n’était pas le malheur de Socrate que je pleurais, mais le mien, en songeant quel ami j’allais perdre. Criton avant moi, n’ayant pu retenir ses larmes, était sorti ; et Apollodore, qui n’avait presque pas cessé de pleurer auparavant, se mit alors à crier, à hurler et à sangloter avec tant de force, qu’il n’y eut personne à qui il ne fît fendre le cœur, excepté Socrate. « Que faites-vous, dit-il, ô mes bons amis ? N’était-ce pas pour cela que j’avais renvoyé les femmes, pour éviter des scènes aussi peu convenables ? car j’ai toujours ouï dire qu’il faut mourir avec de bonnes paroles. Tenez-vous donc en repos, et montrez plus de fermeté. »

Ces mots nous firent rougir, et nous retînmes nos pleurs.

Cependant Socrate, qui se promenait, dit qu’il sentait ses jambes s’appesantir ; et il se coucha sur le dos, comme l’homme l’avait ordonné. En même temps le même homme qui lui avait donné le poison s’approcha, et, après avoir examiné quelque temps ses pieds et ses jambes, il lui serra le pied fortement et lui demanda s’il le sentait ; il dit que non. Il lui serra ensuite les