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pleine encore du corps qu’elle quitte, elle retombe bientôt dans un autre corps, et y prend racine, comme une plante dans la terre où elle a été semée ; et ainsi elle est privée du commerce de la pureté et de la simplicité divines.

» Il n’est que trop vrai, Socrate, dit Cébès.

» Voilà pourquoi, mon cher Cébès, le véritable philosophe s’exerce à la force et à la tempérance, et nullement pour toutes les raisons que s’imagine le peuple. Est-ce que tu penserais comme lui ?

» Non, pas.

» Et tu fais bien. Ces raisons grossières n’entreront pas dans l’âme du véritable philosophe ; elle ne pensera pas que la philosophie doit venir la délivrer, pour qu’après elle s’abandonne aux jouissances et aux souffrances, et se laisse enchaîner de nouveau par elles, et que ce soit toujours à recommencer, comme la toile de Pénélope. Au contraire, en se rendant indépendante des passions, en suivant la raison pour guide, en ne se départant jamais de la contemplation de ce qui est vrai, divin, hors du domaine de l’opinion ; en se nourrissant de ces contemplatiens sublimes, elle acquiert la conviction qu’elle doit vivre ainsi tant qu’elle est dans cette vie, et qu’après la mort elle ira se réunir à ce qui lui est semblable et conforme à sa nature, et sera délivrée des maux de l’humanité. Avec un tel régime, ô Symmias, ô Cébès, et après l’avoir suivi fidèlement, il n’y a pas de raison pour craindre qu’à la sortie du corps elle s’envole emportée par les vents, se dissipe, et cesse d’être. »