Je l’ai vu depuis, en 1842, en France, chez madame de Marcellus, son amie et sa fille de cœur, digne d’une telle adoption. C’est un vieillard faible et gracieux, de quatre-vingts ans, sans aucun signe de découragement de la vie ou de décrépitude de corps. Finesse, sensibilité douce, sourire semi-sérieux et indulgent sur les choses humaines, tolérance qui vient de l’intelligence sur toutes les opinions honnêtes : voilà l’homme. Ajoutez-y un son de voix sonore et lointain comme un souvenir, et ces conversations à demi-voix où toutes les années écoulées repassent en anecdotes devant la mémoire, une modestie qui s’ignore elle-même, et un talent remarquable pour la peinture de paysage. C’est ce qu’on appelle, dans la langue française, un amateur en littérature et en tableaux ; mais un amateur immortel, grand artiste sans art, grand écrivain sans école ; la nature en tout, c’est-à-dire le souverain maître. Dans la littérature du cœur, le Lépreux de la cité d’Aoste tient sa place à côté de Paul et Virginie ; il n’y a rien de supérieur dans la langue, car l’écrivain qui arrive aux larmes arrive à tout. Le pathétique est le sommet du génie ; le didactique n’est qu’une leçon ; l’épique n’est qu’un récit ; la polémique n’est que du raisonnement, le lyrique n’est que l’enthousiasme ; mais le pathétique, c’est le cœur.