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Tant qu’au fond du bassin que lui fit la nature,
Il dort, comme au berceau, dans un lit sans murmure,
Toutes les fleurs des champs parfument son sentier,
Et l’azur d’un beau ciel y descend tout entier ;
Mais, à peine échappés des bras de ses collines,
Ses flots s’épanchent-ils sur les plaines voisines,
Que, du limon des eaux dont il enfle son lit,
Son onde, en grossissant, se corrompt et pâlit ;
L’ombre qui les couvrait s’écarte de ses rives,
Le rocher nu contient ses vagues fugitives,
Il dédaigne de suivre, en se creusant son cours,
Des vallons paternels les gracieux détours ;
Mais, fier de s’engouffrer sous des arches profondes,
Il y reçoit un nom bruyant comme ses ondes ;
Il emporte, en fuyant à bonds précipités,
Les barques, les rumeurs, les fanges des cités ;
Chaque ruisseau qui l’enfle est un flot qui l’altère,
Jusqu’au terme où, grossi de tant d’onde adultère,
Il va, grand mais troublé, déposant un vain nom,
Rouler au sein des mers sa gloire et son limon.
Heureuse au fond des bois la source pauvre et pure !
Heureux le sort caché dans une vie obscure !

Nous parlions autrement à l’âge où l’avenir
Que nos seins palpitants ne pouvaient contenir,
Se débordait pour nous de la coupe de vie,
Comme un jus écumant d’une urne trop remplie.
À cet âge enivré, la gloire est à nos yeux
Ce qu’à l’œil des enfants qui regardent les cieux
Est l’astre de la nuit, dont l’orbe, près d’éclore,
Au sommet qu’il franchit semble toucher encore.
L’un d’eux, quittant ses jeux pour la douce splendeur,
Croit que pour s’emparer du disque tentateur,