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Écartant loin de lui les ombres des années,
Et déployant soudain ses ailes enchaînées
Au-dessus des douleurs, des dégoûts, fruits du temps,
Franchit d’un vol léger les jours, les mois, les ans,
Et m’emporte avec toi dans ce séjour champêtre,
Dans ces temps écoulés que ton nom fait renaître,
Jeune, heureux, le cœur plein d’ignorance et d’espoir,
Brillant comme un matin qui n’aurait point de soir,
Tel que notre amitié nous vit à son aurore,
Et qu’à sa douce voix je crois nous voir encore :
À son prisme divin le présent effacé
Se colore des feux dont brillait le passé.

Ô champs de Bienassis, maison, jardin, prairies,
Treilles qui fléchissiez sous vos grappes mûries,
Ormes qui sur le seuil étendiez vos rameaux,
Et d’où sortait le soir le chœur des passereaux,
Vergers où de l’été la teinte monotone
Pâlissait jour à jour aux rayons de l’automne,
Où la feuille en tombant sous les pleurs du matin
Dérobait à nos pieds le sentier incertain ;
Pas égarés au loin dans les frais paysages,
Heures tièdes du jour coulant sous des ombrages,
Sommeils rafraîchissants goûtés au bord des eaux,
Songes qui descendiez, qui remontiez si beaux ;
Pressentiments divins, intimes confidences,
Lectures, rêverie, entretiens, doux silences ;
Table riche des dons que l’automne étalait,
Où les fruits du jardin, où le miel et le lait,
Assaisonnés des soins d’une mère attentive,
De leur luxe champêtre enchantaient le convive ;
Silencieux réduit où des rayons de bois,
Par l’âge vermoulus et pliant sous le poids,