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Ainsi quand le jeune navire
Où s’élancent les matelots,
Avant d’affronter son empire
Veut s’apprivoiser sur les flots,
Laissant filer son vaste câble,
Son ancre va chercher le sable
Jusqu’au fond des vallons mouvants,
Et sur ce fondement mobile
Il balance son mât fragile,
Et dort au vain roulis des vents.

Il vit ! Le colosse superbe
Qui couvre un arpent tout entier,
Dépasse à peine le brin d’herbe
Que le moucheron fait plier.
Mais sa feuille boit la rosée ;
Sa racine fertilisée
Grossit comme une eau dans son cours ;
Et dans son cœur qu’il fortifie
Circule un sang ivre de vie,
Pour qui les siècles sont des jours.

Les sillons, où les blés jaunissent
Sous les pas changeants des saisons,
Se dépouillent et se vêtissent
Comme un troupeau de ses toisons ;
Le fleuve naît, gronde et s’écoule ;
La tour monte, vieillit, s’écroule ;
L’hiver effeuille le granit ;
Des générations sans nombre
Vivent et meurent sous son ombre :
Et lui ? voyez, il rajeunit !