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L’œil, aux flancs des coteaux poursuivant la lumière,
Sent le jour défaillir sous sa morne paupière ;
Les brises du matin se posent pour dormir,
Le rivage se tait, la voile tombe vide,
La mer roule à ses bords la nuit dans chaque ride,
Et tout ce qui chantait semble à présent gémir.
Et les songes menteurs, et les vaines pensées,
Que du front des mortels la lumière a chassées,
Et que la nuit couvait sous ses ailes glacées,
Descendent avec elle et voilent l’horizon ;
L’illusion se glisse en notre âme amollie,
Et l’air, plein de silence et de mélancolie,
Des pavots du sommeil enivre la raison.
Et l’oiseau de la nuit sort des antres funèbres,
Ouvre avec volupté ses yeux lourds aux ténèbres,
Gémit, et croit chanter, dans l’ombre où son œil luit ;
Et l’homme dont les pas et le cœur aiment l’ombre
Dit, en portant les yeux au firmament plus sombre :
« Sortons, Dieu s’est caché ; sortons, voici la nuit ! »

Et la foule ressemble, en son bruyant délire,

À ces aveugles passagers

Qui prolongent leur veille aux accords de la lyre
Et dansent sur le pont, pendant que le navire
De l’ombre et de la vague affronte les dangers.

Mais nous, enfants du jour, qui croyons aux étoiles,
Nous qui savons l’écueil sous l’écume caché,
Aux hasards de ces nuits ne livrons pas nos voiles :
Sur le phare immortel veillons, l’œil attaché.
Rassemblons-nous, prions pendant que le jour tombe !
Craignons, craignons la nuit, image de la tombe ;