Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 2.djvu/394

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Et maintenant, noyé dans l’abîme de l’être,
Je doute qu’un regard du Dieu qui nous fit naître
Puisse me démêler d’avec lui, vil, rampant,
Si bas, si loin de lui, si voisin du néant !
Et je me laisse aller à ma douleur profonde,
Comme une pierre au fond des abîmes de l’onde ;
Et mon propre regard, comme honteux de soi,
Avec un vil dédain se détourne de moi,
Et je dis en moi-même à mon âme qui doute :
« Va, ton sort ne vaut pas le coup d’œil qu’il te coûte ! »
Et mes yeux desséchés retombent ici-bas,
Et je vois le gazon qui fleurit sous mes pas,
Et j’entends bourdonner sous l’herbe que je foule
Ces flots d’êtres vivants que chaque sillon roule :
Atomes animés par le souffle divin,
Chaque rayon du jour en élève sans fin ;
La minute suffit pour compléter leur être,
Leurs tourbillons flottants retombent pour renaître ;
Le sable en est vivant, l’éther en est semé,
Et l’air que je respire est lui-même animé.
Et d’où vient cette vie, et d’où peut-elle éclore,
Si ce n’est du regard où s’allume l’aurore ?
Qui ferait germer l’herbe et fleurir le gazon,
Si ce regard divin n’y portait son rayon ?
Cet œil s’abaisse donc sur toute la nature ;
Il n’a donc ni mépris, ni faveur, ni mesure ;
Et devant l’Infini, pour qui tout est pareil,
Il est donc aussi grand d’être homme que soleil !
Et je sens ce rayon m’échauffer de sa flamme,
Et mon cœur se console, et je dis à mon âme :
« Homme ou monde, à ses pieds, tout est indifférent.
» Mais réjouissons-nous, car notre maître est grand ! »
Flottez, soleils des nuits, illuminez les sphères ;
Bourdonnez sous votre herbe, insectes éphémères !