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ET RELIGIEUSES.

cette pensée ? Je n’en sais rien ; je m’imagine que ce fut précisément le contraste, l’étreinte de la volupté sur le cœur qui le presse trop fort, et qui en exprime trop complétement la puissance de jouir et d’aimer, et qui lui fait sentir que tout va finir promptement, et que la dernière goutte de cette éponge du cœur qui boit et qui rend la vie est une larme. Peut-être cela fut-il simplement la vue d’un de ces beaux cyprès immobiles se détachant en noir sur le lapis éclatant du ciel, et rappelant le tombeau.

Quoi qu’il en soit, j’écrivis les premières strophes de cette Harmonie aux sons de la cornemuse d’un pifferaro aveugle qui faisait danser une noce de paysans de la plus haute montagne sur un rocher aplani pour battre le blé, derrière la chaumière isolée qu’habitait la fiancée ; elle épousait un cordonnier d’un hameau voisin, dont on apercevait le clocher un peu plus bas, derrière une colline de châtaigniers. C’était la plus belle de ces jeunes filles des Alpes du midi qui eût jamais ravi mes yeux ; je n’ai retrouvé cette beauté accomplie de jeune fille, à la fois idéal et incarné, qu’une fois dans la race grecque ionienne, sur la côte de Syrie. Elle m’apporta des raisins, des châtaignes et de l’eau glacée, pour ma part de son bonheur ; je remportai, moi, son image. Encore une fois, qu’y avait-il là de triste et de funèbre ? Eh bien ! la pensée des morts sortit de là. N’est-ce pas parce que la mort est le fond de tout tableau terrestre, et que la couronne blanche sur ces cheveux noirs me rappela la couronne blanche sur son linceul ? J’espère qu’elle vit toujours dans son chalet adossé à son rocher, et qu’elle tresse encore les nattes de paille dorée en regardant jouer ses enfants sous le caroubier, pendant que son mari chante, en cousant le cuir à sa fenêtre, la chanson du cordonnier des Abruzzes : « Pour qui fais-tu cette chaussure ? Est-ce une sandale pour le moine ? est-ce une guêtre pour le bandit ? est-ce un soulier pour le chasseur ? — C’est une semelle pour ma fiancée, qui dansera la tarentelle sous la treille, au son du tambour orné de grelots. Mais, avant de la lui porter chez son père, j’y mettrai un clou plus fort que les autres, un baiser sous la semelle de ma fiancée ! J’y mettrai une paillette plus brillante que toutes les autres, un baiser sous le soulier de mon amour ! Travaille ! travaille, calzolaïo ! »