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HARMONIES POÉTIQUES ET RELIGIEUSES.

la mienne, tenait à la main sa Bible reliée en maroquin noir, que les Anglaises pieuses lisent pour toute distraction les jours saints ; à quelque distance, un groupe de deux ou trois petites filles du village regardaient avec timidité les dames étrangères ; les chiens couraient après les paons, la cloche de l’église carillonnait ; le soleil, qui baissait vers la montagne, jetait sur la pelouse les ombres dentelées des noisetiers. Cette scène de famille, de campagne, de quiétude dans le bonheur, à l’ombre des murs du clocher, me pénétra profondément. Moi-même j’étais heureux : ma jeunesse avait passé ses amertumes ; mon cœur était plein sans déborder ; des perspectives douces s’entr’ouvraient devant moi ; ma famille paraissait avoir de longues années à vivre ; la renommée m’avait accueilli à mes premiers pas dans la poésie ; la diplomatie et la politique me promettaient, pour mon âge mûr, des occupations, des voyages, les exercices d’esprit nécessaires à mon activité ; ma fortune, modeste alors, me suffisait et au delà ; j’entrevoyais, après les emplois publics et les lettres, des années de paix, de contemplation, de moissons de cœur dans cette vie rurale, commencement et fin de toute heureuse vie. De ce sentiment de bonheur au sentiment de reconnaissance qui en reporte au ciel la bénédiction, il n’y a que le cri de l’âme. Ce cri sortit dans cet instant de la mienne, et je commençai ces vers devant ce groupe de ma mère, de ma femme, et au doux gazouillement de mon enfant.