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LETTRE

larmes aussi coulaient ; et quand je retirai mes mains de mes yeux et que je les posai contre le seuil pour le bénir, elles firent une marque humide sur la pierre blanche…

Un bruit m’avait fait lever en sursaut.

C’était une sourde et monotone psalmodie qui sortait d’une petite fenêtre grillée au flanc de l’église, tout près de moi. Je m’essuyai le front et les genoux pour faire le tour de l’édifice, et pour y entrer par la petite porte qui ouvre au midi sur le côté opposé. Je fus arrêté sur la première marche par un petit cercueil recouvert d’un drap blanc et de deux bouquets de roses blanches aussi, que portaient quatre jeunes filles d’un hameau des montagnes. Le vieux curé les suivait en récitant quelques versets de liturgie latine sur la brièveté de la vie ; un père et une mère pleuraient, en chancelant, derrière lui. Je marchai vers la fosse avec eux, je jetai à mon tour les gouttes d’eau, image des gouttes de larmes, sur le cercueil de la jeune fille, et je rentrai sans avoir osé regarder le pauvre père !

J’ai passé la soirée à vous écrire : ce cœur a besoin de crier quand il est frappé. Je remercie Dieu de m’avoir laissé dans le vôtre un écho qui me renvoie jusqu’au bruit de mes larmes sur mon papier. Adieu !

P. S. Toute réflexion faite, j’avais à écrire demain un entretien pour expliquer à mes lecteurs ce que c’étaient que les Harmonies. Je vais copier cette lettre, en retranchant ce qui est trop intime. Rien ne peut mieux expliquer ce que c’est qu’une harmonie : la jeunesse qui s’éveille, l’amour qui rêve, l’œil qui contemple, l’âme qui s’élève, la prière