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À M. LE COMTE D’ESGRIGNY.

à voix basse avec elles, je leur demande de nous envelopper dans nos aridités d’un rayon de leur amour, dans nos troubles d’un rayon de leur paix, dans nos obscurités d’un rayon de leur vérité. J’y suis resté plus longtemps aujourd’hui et plus absorbé dans le passé et dans l’avenir, qu’à aucun autre de mes retours ici. J’ai relu pour ainsi dire ma vie tout entière sur ce livre de pierre de trois sépulcres : enfance, jeunesse, aubes de la pensée, années en fleurs, années en fruits, années en chaume ou en cendres, joies innocentes, piétés saintes, attachements naturels, études ardentes, égarements pardonnés d’adolescence, passions naissantes, attachements sérieux, voyages, fautes, repentirs, bonheurs ensevelis, chaînes brisées, chaînes renouées de la vie, peines, efforts, labeurs, agitations, périls, combats, victoires, élévations et écroulements de l’âge mûr sur les grandes vagues de l’océan des révolutions, pour faire avancer d’un degré de plus l’esprit humain dans sa navigation vers l’infini ! Puis les refroidissements de foi, les déchirements de destinée, les martyres d’esprit, les pertes de cœur, les dépouillements obligés des choses ou des lieux dans lesquels on s’était enraciné, les transplantations plus pénibles pour l’homme que pour l’arbre, les injustices, les ingratitudes, les persécutions, les exils, les lassitudes de corps avant celles de l’âme, la mort enfin, toujours à moitié chemin de quelque chose.

Tout cela a roulé en bruissant pendant je ne sais combien de temps dans ma tête, comme le torrent de ma vie qui serait redescendu tout à coup après une pluie d’orage de toutes les montagnes, et qui serait revenu prendre possession de son lit desséché. Le tombeau était pour moi la pierre de Moïse d’où coulaient toutes les eaux ; j’ouvris mon cœur comme une écluse, et la prière en sortit à grands flots avec la douleur, la résignation et l’espérance ; et mes