Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 2.djvu/225

Cette page a été validée par deux contributeurs.
224
LETTRE

harmonies ; tout y était encore, excepté l’écho mort et le miroir terni en moi.

J’arrivai ainsi, traînant mes pas sous les branches jaunies et sur les sables humides, jusqu’à une petite porte percée dans un vieux mur tapissé de lierre et de buis. Vous savez que le mur de l’église projette son ombre sur cette partie du jardin, et que l’on communique, par cette porte dérobée, de l’enclos dans le cimetière du village. Vous savez que j’ai ajouté à ce cimetière ombragé de vieux noyers un petit coin de terre retranché au jardin, afin que ce petit coin de terre, dont j’ai fait don à la commune, fût à la fois la propriété de la mort et la propriété de la famille, et que si la nécessité nous dépouillait un jour de l’habitation et du domaine de Saint-Point, cette nécessité ne fît pas du moins passer ce domaine des morts dans les mains d’une famille étrangère ou d’un propriétaire indifférent.

C’est sur cette frontière neutre entre le cimetière et le jardin que j’ai bâti (le seul édifice que j’aie bâti ici-bas) un petit monument funèbre, une chapelle d’architecture gothique, entourée d’un cloître surbaissé en pierres sculptées qui protégent quelques fleurs tristes, et qui s’élèvent sur un caveau. C’est là que j’ai recueilli et rapporté de loin, près de mon cœur, les cercueils de ma mère et de tout ce que j’ai perdu sur la route de plus aimé et de plus regretté ici-bas.

Toutes les fois que j’arrive à Saint-Point ou toutes les fois que j’en pars pour une longue absence, je vais seul, à la chute du jour, dire à genoux un salut ou un adieu à ces chers hôtes de l’éternelle paix, sur ce seuil intermédiaire entre leur exil et leur félicité. Je colle mon front contre la pierre qui me sépare seule de leurs cendres, je m’entretiens