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LETTRE

de gaieté à mes chiens sans les atteindre, elle bondit sous moi, en essayant de me forcer la main pour s’élancer vers ses chères images.

Je descendis ; je l’attachai par la bride lâche à une branche pliante de houx couverte de ses graines de pourpre, pour qu’elle pût brouter à l’aise au pied du buisson, et je m’assis un moment sur la racine du châtaignier, le visage tourné vers ma demeure vide.

Le vent du midi avait redoublé d’haleine à mesure que le soleil était monté sous le ciel ; il avait pris les bouffées et les rafales d’une tempête sèche ; depuis que le soleil avait commencé à redescendre vers le couchant, il avait balayé comme un cristal le firmament ; il faisait rendre aux bois, aux rochers, et même aux herbes, des harmonies qui semblaient mêlées de notes joyeuses et de notes tristes, d’embrassements et d’adieux, de terreur et de volupté ; il amoncelait en tourbillons les feuilles mortes, et puis il les laissait retomber et dormir en monceaux miroitants au soleil : ce vent avait dans les haleines des caresses, des tiédeurs, des amours, des mélancolies et des parfums qui dilataient la poitrine, qui enivraient les oreilles, qui faisaient boire par tous les pores la force, la vie, la jeunesse d’un incorruptible élément. On eût dit qu’il sortait du ciel, de la terre, des bois, des plantes, des fenêtres de la maison visible là-bas, du foyer d’enfance, des lèvres de mes sœurs, de la mâle poitrine de mon père, du cœur encore chaud de ma mère, pour m’accueillir à ce retour, et pour me toucher des lèvres sur la joue et au front. Il faisait battre les mèches humides de mes cheveux sur mes tempes, sous le rebord de mon chapeau, avec des frissons aussi délicieux qu’il avait jamais fouetté mes boucles blondes dans ces mêmes prés sur mes joues de seize ans ! Je l’aspirais comme des lèvres qui se