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À M. LE COMTE D’ESGRIGNY.

midité de la terre ; les cimes nageaient dans l’été. Un vent du midi tiède, sonore, méditerranéen, prélude voluptueux d’équinoxe, soufflait de la vallée du Rhône, avec les murmures et les soubresauts alternatifs des lames bleues de la mer de Syrie, qui viennent de minute en minute heurter et laver d’écume les pieds du Liban. Je savais que ce vent venait en effet de là ; il n’y avait que quelques heures qu’il avait soufflé dans les cèdres et gémi dans les palmiers ; il me semblait entendre encore, et presque sans illusion d’oreille, dans ses rafales chaudes, les palpitations de la voile des grands mâts, le tangage des navires sur les hautes vagues, le bouillonnement de l’écume retombant de la proue, comme de l’eau qui frémit sur un fer chaud, quand la proue se relève du flot, les sifflements aigus quand on double un cap, les clapotements du bord, et les coups sourds et creux de la quille des chaloupes, quand le pêcheur les amarre contre les écueils de Sidon.

Un petit hameau, tout semblable à un village aride et pyramidal d’Espagne ou de Calabre, s’échelonnait au-dessus de moi avec ses toits étagés en gradins de tuiles rouges, et avec son clocher de pierre grise, bronzée du soleil. Sa cloche, dont on voyait le branle et la gueule à travers les ogives de la tour, et dont on entendait rugir et grincer le mécanisme de poutres et de solives, sonnait l’Angelus du milieu du jour, et l’heure du repas aux paysans dans le champ et aux bergers dans la montagne. Des fumées de sarments sortaient de deux ou trois cheminées, et fuyaient chassées sous le vent comme des volées de pigeons bleus. Ce village était le mien, le foyer de mon père après les orages de la première révolution, le berceau de nous tous, les enfants de ce nid maintenant désert. Je passai devant la porte de ma cour sans y entrer ; je suivis, sans lever la tête, le pied du mur noir et bossué de pierres sèches qui