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tendu exhaler ses propres sentiments en écrivant les imprécations d’Harold, il eût au même moment demandé à être renvoyé dans ce pays qu’il abhorrait, et qu’enfin il fût venu se jeter seul au milieu des ennemis de tout genre que la manifestation de ces sentiments aurait dû lui faire ? Qui ne sent l’absurdité d’une pareille supposition ? et quel homme de bonne foi, en comparant les paroles du poëte et ses actions, en opposant tous les vers où il exprime sous son propre nom ses propres impressions à ceux où il exprime les sentiments présumés de son personnage, quel homme de bonne foi, disons-nous, pourra suspendre son jugement ?

» Quelle que soit, au reste, la peine que puisse éprouver M. de Lamartine de voir ses intentions si amèrement inculpées, il doit peut-être de la reconnaissance aux auteurs des différents articles où on l’accuse, puisqu’il le mettent dans la nécessité d’expliquer sa pensée méconnue, et de désavouer hautement les sentiments aussi absurdes qu’injurieux qu’on s’est plu à lui prêter. De ce qu’il y a quelques traits de vérité dans le fragment d’Harold, on veut conclure que ce ne sont point des sentiments feints, et qu’ils expriment la pensée de l’auteur plus que la passion du héros. Oui, sans doute, il y a quelques traits de vérité : et quel peuple n’a pas ses vices ? quelle époque n’a pas ses misères ? L’Italie seule voudrait-elle n’être peinte que des traits de l’adulation ? Il y a quelques traits de vérité ; mais l’ensemble du tableau est faux, outré, comme tout tableau qui n’est vu que sous un seul jour, comme toute peinture où l’imagination n’emploie que les couleurs de la prévention et de la haine : oui, le tableau est faux pour M. de Lamartine. Dans sa fiction, son héros et lui partent de principes trop opposés pour se rencontrer jamais dans un jugement semblable.

» Mais peut-on admettre d’ailleurs que le poëte qui a pu faire les vers de Child-Harold soit en même temps assez absurde et assez aveugle à toute évidence, pour ne pas rendre une éminente justice à ce que le monde entier reconnaît et admire ? pour maudire une terre à laquelle la nature et le ciel ont prodigué tous leurs dons, dont l’histoire est encore un des trophées du genre humain ? pour dédaigner une langue qu’ont chantée le Dante, le Pétrarque et le Tasse ; une terre où, dans les temps modernes, toute civilisation et toute littérature ont pris naissance, et ont produit la splendeur de Rome sous les Léon X, la culture et l’éclat