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poëte, œuvre où cet autre poëte célébrait son propre caractère et ses impressions les plus intimes ; sorte de composition où l’auteur doit, plus que dans toute autre, se dépouiller de lui-même et se perdre dans sa fiction. Ajoutons que ce cinquième chant était même destiné à paraître sous le nom de lord Byron, et comme la traduction d’un fragment posthume de cet illustre écrivain.

» Mais depuis quand un auteur serait-il solidaire des paroles de son héros ? Quand lord Byron faisait parler Manfred, le Corsaire, ou Lara ; quand il mettait dans leur bouche les imprécations les plus affreuses contre l’homme, contre les institutions sociales, contre la Divinité ; quand ils riaient de la vertu et divinisaient le crime, a-t-on jamais confondu la pensée du poëte et celle du brigand ? et un tribunal anglais s’est-il avisé de venir demander compte à l’illustre barde des opinions du Corsaire ou des sentiments de Lara ? Milton, le Dante, le Tasse, sont dans le même cas : toute fiction a été de tout temps permise aux poëtes, et aucun siècle, aucune nation, ne leur ont imputé à crime un langage conforme à leur fiction.


Pictoribus atque poetis

Quidlibet audendi semper fuit æqua potestas.


« Mais si l’usage de tous les temps et le bon sens de tous les peuples ne suffisaient pas pour établir ici cette distinction entre le poëte et le héros, M. de Lamartine avait pris soin de l’établir d’avance dans la préface même de son ouvrage. « Il est inutile, dit-il, de faire remarquer que la plupart des morceaux de ce dernier chant de Child-Harold se trouvent uniquement dans la bouche du héros, que, d’après ses opinions connues, l’auteur français ne pouvait faire parler contre la vraisemblance de son caractère. Satan, dans Milton, ne parle point comme les anges. L’auteur et le héros ont deux langages très-opposés, etc… » (Préface de la première édition d’ Harold.)

» Ce serait en dire assez ; mais on dira plus : Lors même que M. de Lamartine aurait écrit en son propre nom, et comme l’expression de ses propres impressions, ce qu’il n’a écrit que sous le nom d’Harold ; lors même qu’il penserait de l’Italie et de ses peuples autant de mal que le supposent gratuitement ses adversaires, le fragment cité ne mériterait aucune des épithètes qu’on