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de plus vague, contre la chose ou le pays sur lesquels s’exerce la fureur poétique de son héros. Si l’on veut avoir une idée juste d’une pareille figure, qu’on lise les diatribes d’Alfieri contre la France, son langage, ses mœurs, ses habitants ; les imprécations de Corneille contre Rome, celles de Dante, de Pétrarque, et de presque tous les poëtes italiens contre leur propre patrie, celles même de lord Byron contre quelques-uns de ses compatriotes ; qu’on lise enfin tous les satiriques de tous les siècles, depuis Juvénal jusqu’à Gilbert. De pareils morceaux n’ont jamais rien prouvé que le plus ou moins de talent de leurs auteurs à se pénétrer des couleurs de leur sujet, ou à exercer leur verve satirique sur des nations ou des époques, c’est-à-dire sur des abstractions inoffensives.

» Voilà cependant de quel fondement des critiques italiens et quelques personnes mal informées ont voulu conclure les opinions et les sentiments de M. de Lamartine sur l’Italie. Hâtons-nous d’ajouter cependant que la plupart des personnes qui sont tombées dans cette erreur ne connaissaient de l’ouvrage que ce seul passage, et que, le lisant séparé de l’ensemble qui l’explique, et le croyant placé dans la bouche du poëte lui-même, l’accusation pouvait leur paraître plus plausible.

» Rétablissons les faits : l’imprécation du cinquième chant de Child-Harold n’a jamais été l’expression des sentiments de M. de Lamartine sur l’Italie. Ces vers ne sont nullement dans sa bouche, ils sont dans la bouche de son héros ; et si jamais il a été possible de confondre le héros et l’auteur, et de rendre l’un solidaire des opinions de l’autre, à coup sûr ce n’était pas ici le cas. Child-Harold, ou lord Byron, que ce nom désigne toujours, est non seulement un personnage très-distinct de M. de Lamartine, il en est encore en toute chose l’opposé le plus absolu. Irréligieux jusqu’au scepticisme, fanatique de révolutions, misanthrope jusqu’au mépris le moins déguisé pour l’espèce humaine, paradoxal jusqu’à l’absurde, Child-Harold est partout et toujours, dans ce cinquième chant, le contraste le plus prononcé avec les idées, les opinions, les affections, les sentiments de l’auteur français ; et peut-être M. de Lamartine pourrait-il affirmer avec vérité qu’il n’y a pas dans tout ce poëme quatre vers qui soient pour lui l’expression d’un sentiment personnel. Le genre même de l’ouvrage peut rendre raison d’une pareille dissemblance : ce cinquième chant est en effet une continuation de l’œuvre d’un autre