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LA MORT

Ont marché sous le joug des rites et des lois,
Du juge intérieur interrogé la voix,
Suivi les droits sentiers écartés de la foule,
Prié, servi les dieux, d’où la vertu découle,
Souffert pour la justice, aimé la vérité,
Et des enfants du ciel conquis la liberté !

» Mais ceux qui, chérissant la chair autant que l’âme,
De l’esprit et des sens ont resserré la trame,
Et prostitué l’âme aux vils baisers du corps,
Comme Léda livrée à de honteux transports ;
Ceux-là, si toutefois un dieu ne les délivre,
Même après leur trépas ne cessent pas de vivre,
Et des coupables nœuds qu’eux-même ils ont serrés
Ces mânes imparfaits ne sont pas délivrés.
Comme à ses fils impurs Arachné suspendue,
Leur âme, avec leur corps mêlée et confondue,
Cherche en vain à briser ses liens flétrissants :
L’amour qu’elle eut pour eux vit encor dans ses sens ;
De leurs bras décharnés ils la pressent encore,
Lui rappellent cent fois cet hymen qu’elle abhorre,
Et, comme un air pesant qui dort sur les marais,
Leur vil poids, loin des dieux, la retient à jamais.
Ces mânes gémissants, errant dans les ténèbres,
Avec l’oiseau de nuit jettent des cris funèbres ;
Autour des monuments, des urnes, des tombeaux,
De leur corps importun traînant d’affreux lambeaux,
Honteux de vivre encore, et fuyant la lumière,
À l’heure où l’innocence a fermé sa paupière,
De leurs antres obscurs ils s’échappent sans bruit,
Comme des criminels s’emparent de la nuit ;
Imitent sur les flots le réveil de l’aurore,
Font courir sur les monts le pâle météore ;