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pas entendu ? — Non, milord, mais essayez encore une fois de me faire connaître vos volontés. — Comment le puis-je ? Il est trop tard… Tout est fini ! — Ce n’est pas votre volonté, mais celle de Dieu, qui se fait. — Oui, dit-il, ce n’est pas la mienne ; mais je vais essayer. En effet, il fit plusieurs efforts pour parler ; mais il ne pouvait prononcer que deux ou trois mots de suite, comme : Ma femme ! mon enfant ! ma sœur ! Vous savez tout, dites tout : vous connaissez mes intentions. Le reste était inintelligible.

» Il était à peu près midi ; les médecins eurent une consultation, et il fut décidé de donner à milord du quinquina dans du vin. Il y avait huit jours qu’il n’avait rien pris que ce que j’ai dit, et qui ne pouvait le soutenir. À l’exception de quelques mots que je répéterai à ceux auxquels ils étaient adressés, et que je suis prêt à leur communiquer s’ils le désirent, il fut impossible de rien entendre de ce que dit milord après avoir pris son quinquina. Il témoigna le désir de dormir ; je lui demandai s’il voulait que j’allasse chercher M. Parry. — Oui, allez le chercher. M. Parry le pria de se tranquilliser ; il versa quelques larmes, et parut sommeiller. M. Parry sortit de la chambre avec l’espérance de le trouver plus calme à son retour. Hélas ! c’était le commencement de la léthargie qui précéda sa mort. Les derniers mots que je lui ai entendu prononcer furent ceux-ci, qu’il prononça dans la soirée du 18, à six heures environ : Il faut que je dorme maintenant. Il laissa tomber sa tête pour ne plus la relever ; il ne fit pas un seul mouvement pendant vingt-quatre heures. Il avait, par intervalles, des suffocations et une espèce de râle : alors j’appelais Tita pour m’aider à lui relever la tête, et il me paraissait qu’il était tout à fait engourdi. Le râle revenait toutes les demi-heures, et nous continuâmes à lui soulever la tête toutes les fois qu’il revenait, jusqu’à six heures du soir du lendemain 19, que je vis milord ouvrir les yeux et les refermer sans aucun symptôme de douleur, sans faire le moindre mouvement d’aucun de ses membres. Ô mon Dieu ! m’écriai-je, je crains que milord ne soit mort ! Les médecins tâtèrent le pouls, et dirent : Vous avez raison, il n’est plus. »

(Westminster Review.)