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DE SOCRATE.

Enfin, de la prison les gonds bruyants roulèrent ;
À pas lents, l’œil baissé, les amis s’écoulèrent.
Mais Socrate, jetant un regard sur les flots,
Et leur montrant du doigt la voile vers Délos :
« Regardez sur les mers cette poupe fleurie ;
C’est le vaisseau sacré, l’heureuse Théorie !
Saluons-la, dit-il : cette voile est la mort !
Mon âme, aussitôt qu’elle, entrera dans le port.
Et cependant parlez ; et que ce jour suprême,
Dans nos doux entretiens, s’écoule encor de même !
Ne jetons point aux vents les restes du festin :
Des dons sacrés des dieux usons jusqu’à la fin.
L’heureux vaisseau qui touche au terme du voyage
Ne suspend pas sa course à l’aspect du rivage ;
Mais, couronné de fleurs et les voiles aux vents,
Dans le port qui l’appelle il entre avec les chants.





« Les poëtes ont dit qu’avant sa dernière heure
En sons harmonieux le doux cygne se pleure :
Amis, n’en croyez rien ! l’oiseau mélodieux
D’un plus sublime instinct fut doué par les dieux.
Du riant Eurotas près de quitter la rive,
L’âme, de ce beau corps à demi fugitive,
S’avançant pas à pas vers un monde enchanté,
Voit poindre le jour pur de l’immortalité,
Et, dans la douce extase où ce regard la noie,
Sur la terre en mourant elle exhale sa joie.
Vous qui près du tombeau venez pour m’écouter,
Je suis un cygne aussi ; je meurs, je puis chanter ! »