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XIX


« Rendez-vous ! » Mais quel cri de surprise et d’horreur
Dans son sanglant triomphe arrête le vainqueur ?
L’Ottoman veut-il donc périr avec sa proie ?
Voyez, déjà la flamme en torrents se déploie ;
Du pied fumant des mâts monte un long cri de mort.
Harold épouvanté s’élance sur son bord,
Et, du navire en feu détachant son navire,
Hors du vent enflammé lentement se retire.
Pleurant sur son triomphe, il contemple de loin
Ce funèbre bûcher, dont l’abîme est témoin.
Excité par les vents, le rapide incendie,
De sabords en sabords, court, monte, se replie,
Remonte, redescend, rase les flots fumants,
Entoure le vaisseau de ses feux écumants,
Et, sous les coups du vent éparpillant ses flammes,
Revient, et l’engloutit sous ses brûlantes lames ;
Lançant ses dards de feu, glissant comme un serpent,
Le long des mâts noircis il s’élève en rampant ;
La vergue tombe en feu sur le pont qu’elle écrase ;
La voile en frémissant se déroule et s’embrase ;
Emportés dans les airs, ses lambeaux enflammés
Vont tomber sur les flots à demi consumés,
Et la mer, les portant sur ses vagues profondes,
Semble rouler au loin des flammes au lieu d’ondes.
Mais le salpêtre en feu lance un dernier éclair ;
L’air frémit, le coup part, le vaisseau vole en l’air :
Ses éclats, retombant de distance en distance,
Sèment d’un son lugubre un lugubre silence ;