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Tel un vautour des mers, fondant sur l’hirondelle,
Couvre déjà l’oiseau de l’ombre de son aile.
Quel est le pavillon ? c’est l’odieux croissant.
Qu’entend-on sur son bord ? un soupir gémissant,
Les sanglots des enfants et des vierges plaintives
Qui pleurent de Chio les paternelles rives,
Et qu’un vainqueur cruel traîne en captivité,
Pour présenter leur tête ou vendre leur beauté.
« Délivrons, dit Harold, ou vengeons ces victimes !
Que l’amour ne soit pas le prix sanglant des crimes !
Feu !… » L’éclair est moins prompt : le tonnerre ennemi
Éveille tout à coup l’Ottoman endormi ;
Chaque boulet, fidèle au regard qui le guide,
Semble emprunter de l’homme un instinct homicide,
Trace un sillon sanglant dans les rangs qu’il abat,
Fait écrouler le pont sous les débris du mât,
Ou brise le timon dans les mains du pilote.
Déjà, comme un corps mort, la masse immense flotte ;
En vain, pour éloigner le plomb qui fond sur eux,
Ses trois ponts à la fois vomissent tous leurs feux :
Comme un adroit lutteur, le brick léger s’efface ;
Les coups mal dirigés se perdent dans l’espace ;
Cent boulets sur les flots vont jaillir en sifflant ;
Puis, d’un coup de timon rapporté sur son flanc,
Dans ses agrès brisés son mât penché s’engage.
Harold, le sabre en main, s’élance à l’abordage,
Et, faisant tournoyer son glaive autour de lui,
Trace un cercle sanglant : tout tombe, ou tout a fui.
C’en est fait ! ses guerriers, élancés sur sa trace,
Du pont jonché de morts ont balayé l’espace.