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soustraire le roi par le suicide à l’échafaud l’arrêtèrent longtemps dans cette pièce. Le nom et l’aspect du vieillard inspirèrent quelque pudeur aux gardiens. Il se fouilla lui-même devant eux. Il n’avait sur lui que quelques pièces diplomatiques et le journal des séances de la Convention. Dorat-Cubières, membre de la commune, homme plus vaniteux que cruel, fanfaron de liberté, écrivain de boudoirs, déplacé dans les tragédies de la Révolution, était de service dans l’antichambre du roi. Dorat-Cubières connaissait M. de Malesherbes et révérait en lui un philosophe que Voltaire, son maître, avait signalé souvent à la reconnaissance des sages. Il fit approcher le vieillard du foyer de la cheminée et s’entretint familièrement avec lui. « Malesherbes, lui dit-il, vous êtes l’ami de Louis XVI ; comment pouvez-vous lui apporter des journaux où il verra toute l’indignation du peuple exprimée contre lui ? — Le roi n’est pas un homme comme un autre, répondit M. de Malesherbes ; il a une âme forte, il a une foi qui l’élève au-dessus de tout. — Vous êtes un honnête homme, vous, reprit Cubières, mais si vous ne l’étiez pas, vous pourriez lui porter une arme, du poison, lui conseiller une mort volontaire ! » La physionomie de M. de Malesherbes trahit à ces mots une réticence qui semblait indiquer en lui la pensée d’une de ces morts antiques qui enlevaient l’homme à la fortune et qui le rendaient, dans les extrémités du sort, son propre juge et son propre libérateur ; puis, comme se reprenant lui-même de sa pensée : « Si le roi, dit-il, était de la religion des philosophes, s’il était un Caton ou un Brutus, il pourrait se tuer. Mais le roi est pieux, il est -chrétien ; il sait que sa religion lui défend d’attenter à sa vie, il ne se tuera pas. » Ces deux hommes échangèrent à