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régime d’arbitraire et d’abus, l’application des règles de justice et de raison que les idées appellent, mais auxquelles résistent les choses. Si de tels hommes étaient toujours à la tête des gouvernements, il y aurait à peine besoin de lois. Ils sont eux-mêmes des lois, car ils sont la lumière, la justice et la vertu d’un temps.

Élève de Jean-Jacques Rousseau, ami de Turgot, qui avait porté le premier la philosophie dans l’administration, Malesherbes s’était fait chérir des philosophes du dix-huitième siècle en favorisant, comme directeur général de la librairie, l’introduction de l’Encyclopédie, cet arsenal des idées nouvelles, en France. Sous une législation de ténèbres légales et de censure, Malesherbes avait hardiment trahi les abus régnants en se déclarant le complice de la lumière. L’Église et l’aristocratie ne lui avaient pas pardonné. Il était un de ces noms qu’on accusait le plus d’avoir sapé la religion et le pouvoir en croyant saper la superstition et la tyrannie. Le fond de son cœur était en effet républicain, mais ses mœurs et ses sentiments étaient encore monarchiques. Exemple vivant de cette contradiction intérieure qui existe dans ces hommes nés, pour ainsi dire, aux frontières des révolutions, dont les idées sont. d’un temps et dont les habitudes d’esprit sont d’un autre. Le républicanisme de Malesherbes était à la république du moment ce que l’idée philosophique du sage est aux mouvements tumultueux d’un peuple. Sa théorie tremblait et s’indignait devant la réalisation. Il ne désavouait pas les doctrines de sa vie, mais il se voilait le visage pour ne pas contempler leurs excès. Les malheurs du roi lui arrachaient des larmes amères. Ce prince avait été l’espérance et quelquefois l’illusion de Malesherbes. Témoin et confident