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est si rare. — Et comment savez-vous qu’il est rare ? lui demanda Chaumette. — Parce que celui que je mange sent la poussière. Ma grand mère, reprit Chaumette avec une familiarité joviale, me disait dans mon enfance : « Ne jetez jamais une miette de pain, car vous ne sauriez en faire pousser autant. » — Monsieur Chaumette, dit en souriant le roi, votre grand’mère avait du bon sens, le pain vient de Dieu. » La conversation fut ainsi sereine et presque enjouée pendant le retour.

Le roi comptait et nommait toutes les rues. « Ah ! voici la rue d’Orléans, s’écria-t-il en la traversant. — Dites la rue de l’Égalité, reprit rudement Chaumette. — Oui, oui, dit le roi, à cause de… » Il n’acheva pas et resta un moment morne et silencieux.

Un peu plus loin, Chaumette, qui n’avait rien pris depuis le matin, se trouva mal dans la voiture. Le roi rendit quelques soins à son accusateur. « C’est sans doute, lui dit-il, le mouvement de la voiture qui vous incommode. Avez-vous jamais éprouvé le roulis d’un vaisseau ? — Oui, répondit Chaumette, j’ai fait la guerre sous l’amiral Lamotte-Piquet. — Ah ! dit le roi, c’était un brave que Lamotte-Piquet. » Pendant que l’entretien se continuait dans l’intérieur de la voiture, les hommes de la halle au blé et les charbonniers, formés en bataillons, chantaient autour des roues les couplets les plus meurtriers de la Marseillaise :

Tyrans ! qu’un sang impur abreuve nos sillons !

De longs cris de « Vive la Révolution ! » s’élevaient à l’approche du cortége du sein de la foule, et, se prolon-