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la terreur. Nul ne savait s’il serait innocent ou criminel aux yeux des visiteurs, et s’il n’allait pas être arraché à son foyer, à sa femme, à ses enfants.

Une arme non déclarée était motif d’accusation ; déclarée, elle était témoignage de suspicion. Un signe quelconque de royalisme, un uniforme de la garde du roi, un cachet, un bouton d’habit aux armes royales, un portrait, une correspondance avec un ami ou avec un parent émigrés, l’hospitalité prêtée à un étranger dont le séjour dans la maison ne s’expliquait pas, tout pouvait être un titre de mort. La dénonciation d’un ennemi, d’un voisin, d’un domestique, faisait pâlir. Chacun cherchait à inventer pour soi, pour ses hôtes, pour les objets que l’on voulait dérober à la recherche, des ténèbres, des retraites, des asiles, des cachettes qui trompassent l’œil des visiteurs. On descendait dans les caves, on montait sur les toits, on rampait dans les conduits des cheminées, on excavait les murs, on y pratiquait des niches recouvertes par des armoires ou des tableaux, on dédoublait les planchers, on s’y glissait entre les solives et les parquets, on enviait le sort des reptiles.

Aux coups de marteau des commissaires à la porte de la maison, la respiration était suspendue. Ces commissaires montaient, escortés d’hommes des sections le sabre nu à la main, et la plupart ouvriers connaissant toutes les pratiques par lesquelles on peut rendre complices d’un recèlement les murs, les meubles, le bois, les lits, les matelas, la pierre. Des serruriers, munis de leurs outils, ouvraient les serrures, enfonçaient les portes, sondaient les planchers, déjouaient toutes les ruses de la tendresse, de l’hospitalité, de la peur.