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Aussitôt que le peuple fut maître du château, les cris de victoire pénétrèrent du dehors par toutes les issues dans la salle. L’Assemblée se leva en masse et s’associa au triomphe du peuple par le serment de maintenir l’égalité et la liberté. De minute en minute, des hommes du peuple, les bras nus, les mains sanglantes, le visage noirci de poudre, entraient aux applaudissements des tribunes, s’avançaient à la barre, racontaient en paroles brèves les perfides embûches de la cour, qui avaient attiré les citoyens par des apparences de trêve sous le feu des Suisses pour les immoler. D’autres, montrant du geste la loge du logographe, offraient leur bras à la nation pour exterminer le tyran et l’assassin de son peuple. « C’est cette cour perfide, s’écria un de ces orateurs en découvrant sa poitrine frappée d’une balle et ruisselante de sang, c’est cette cour perfide qui a fait couler ce sang. Nous n’avons pénétré dans le palais qu’en marchant sur les monceaux de cadavres de nos frères massacrés ! Nous avons fait prisonniers plusieurs de ces satellites d’un roi parricide. C’est le roi seul que nous accusons. Ces hommes n’étaient que les instruments de sa trahison ; du moment qu’ils ont mis bas les armes, dans ces assassins soudoyés nous ne voyons plus d’ennemis, nous ne voulons voir que des frères ! » À ces mots, il embrasse un Suisse désarmé, qu’il avait amené par la main, et il tombe évanoui au milieu de la salle, épuisé de fatigue, d’émotions, de sang. Des députés se précipitent, l’emportent, le rendent à la vie. Il reprend ses sens, il se relève, il rentre à la barre : « Je sens renaître mes forces, dit-il, je demande à l’Assemblée de permettre à ce malheureux Suisse de demeurer chez moi ; je veux le protéger et le nourrir. Voilà la vengeance d’un patriote français ! »