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dénoncé par lui aux suspicions de la commune ; l’indifférence de Servan pour tout ce qui sortait de la compétence du ministère de la guerre ; la médiocrité de Lebrun ; la turbulence et l’immoralité de Danton. Elle recevait cependant presque tous les jours chez elle le jeune ministre, dans les commencements de son ministère, tantôt un peu avant l’heure du conseil, que Danton devançait pour avoir le temps de s’entretenir avec elle, tantôt dans les dîners intimes où elle réunissait un petit nombre de convives pour parler des affaires publiques. Danton amenait avec lui Camille Desmoulins et Fabre d’Églantine. La conversation de Danton respirait le patriotisme, le dévouement, l’ardent désir de la concorde avec ses collègues. Ses paroles, le son de sa voix, l’accent de sincérité et, pour ainsi dire, de sérénité de son enthousiasme, faisaient un moment illusion à madame Roland ; elle était tentée d’accuser la renommée de calomnie et de croire à cet homme les vertus sauvages de la liberté. Mais quand elle regardait sa figure, elle se reprochait son indulgence. Elle ne pouvait appliquer l’idée d’un homme de bien sur ce visage. « Je n’ai jamais rien vu, disait-elle, qui caractérisât si complétement l’emportement des passions brutales et l’audace la plus effrénée, à demi voilées sous une affectation de franchise, de jovialité et de bonhomie. Mon imagination, qui aime à donner un rôle aux personnages, me représentait sans cesse Danton un poignard à la main, excitant de la voix et du geste une troupe d’assassins plus timides ou moins féroces que lui ; ou bien, content de ses forfaits, indiquant par le geste de Sardanapale les cyniques voluptés dans lesquelles son âme se reposait du crime. »

À peine élevé au pouvoir sur la catastrophe du 10 août,