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ses collègues. Le philosophe Roland, le financier Clavière, le géomètre Monge, le diplomate Lebrun, le militaire Servan, n’avaient ni le génie, ni l’émotion, ni la perversité des crises où leur ambition les avait jetés. Danton était le seul homme d’État du pouvoir exécutif. Il en était aussi la seule parole. Aucun de ces hommes de plume vieillis dans les chancelleries ou dans les bureaux ne savait parler la langue accentuée des passions. Danton l’avait apprise dans la longue pratique des séditions et des tumultes. Le peuple connaissait sa voix. Il soulevait ou apaisait la rue d’un geste. Il atterrait l’Assemblée. Il y parlait moins en ministre qu’en médiateur tout-puissant qui protége et qui gourmande. Ses conseils étaient des ordres. Appuyé sur sa popularité, il venait rendre en termes foudroyants, obscurs et brefs, ses plébiscites à la barre, et se hâtait de rentrer dans le mystère de ses conciliabules et dans les intrigues de ses agents, ou dans les comités secrets de la commune. L’étonnement imposé par sa supériorité se révélait ; l’énergie de son esprit, la vigueur de ses conseils, les volcans de son âme avaient mis les partis dans sa dépendance. Il tenait tous les fils et les faisait jouer, tantôt en montrant, tantôt en cachant la main. Il ne daignait pas déguiser son mépris pour Roland. Il mettait l’œil et la main dans l’administration de tous ses collègues. Il dirigeait la guerre, les finances, l’intérieur, les négociations sourdes avec l’étranger. Roland murmurait tout bas et se plaignait en rentrant à sa femme de l’insolence et de l’universalité d’attributions qu’affectait Danton. Humilié de la suprématie de son collègue, épouvanté de ses instincts, il sentait que le 10 août échappait des mains de son parti, et qu’en se donnant un auxiliaire dans la personne de Danton, les