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riez, gardant auprès de lui l’adjudant général Thouvenot, dont il avait remarqué le regard pensif et la physionomie expressive pendant le discours de Dillon, s’ouvrit à lui comme à un confident capable de comprendre et de couver une grande pensée. « La retraite sur Châlons, lui dit-il, est une pensée sage. Mais la sagesse des grands dangers c’est la témérité. Il faut tromper la fortune en se montrant plus confiant qu’elle n’est adverse. Se retirer derrière la Marne, devant un ennemi nombreux et actif, c’est donner à la France le signal de la faiblesse et du découragement, c’est commencer la guerre par un mouvement en arrière toujours semblable à une déroute ; enfin c’est ouvrir aux coalisés les plaines fertiles d’Épernay et de Reims et la route de Paris, sur laquelle aucun obstacle ne peut les arrêter après la Marne. » Alors, montrant sur la carte une longue ligne de forêts qui s’étend de Sedan à Sainte-Menehould, entre Verdun et Châlons, nom obscur alors, devenu national depuis : « Voilà, dit-il à Thouvenot, les Thermopyles de la France ! Si j’ai le bonheur d’y arriver avant les Prussiens, tout est sauvé ! » Ce mouvement oblique de Dumouriez, bien loin d’éloigner l’armée française des Prussiens, l’en rapprochait, et leur fixait audacieusement un champ de bataille sur le terrain même qu’ils occupaient déjà ; car de Verdun, où était le roi de Prusse, il y a moins de distance que de Sedan, où était l’armée française, pour se porter au centre de la forêt d’Argonne. Thouvenot fut convaincu par l’enthousiasme dont cet éclair de génie illumina soudainement l’œil militaire de Dumouriez. Il adopta l’idée comme si lui-même l’avait conçue. Subjugué par la supériorité de caractère et d’intelligence qu’il découvrait dans son chef, il devint de ce jour son second et son ami.