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À force de retourner sa pensée dans sa tête, elle finit par s’allumer. Sa mémoire, fidèle ou trompée, lui rappela une circonstance en apparence bien insignifiante, mais qu’il pervertit en soupçon. Du soupçon à l’accusation, dans l’âme de l’homme simple et frappé, il n’y a que l’espace d’un rêve : son imagination le franchit. Gamain se souvint qu’accablé de lassitude et de soif pendant le travail pénible de la forge, le roi lui avait offert de se désaltérer, et lui avait donné à boire, de sa propre main, un verre d’eau froide. Soit que la fraîcheur de l’eau eût glacé ses sens, soit que le commencement du marasme de cet homme eût coïncidé naturellement avec cette époque de sa vie, Gamain se crut empoisonné de la main de son maître et de son ami, intéressé, disait-il, à faire disparaître le seul témoin du dépôt caché dans les murs de son palais.

Gamain confia ses soupçons à sa femme, qui les partagea et les envenima. Il lutta longtemps contre cette obsession de son âme ; mais enfin, vaincu par le désespoir de périr victime d’une si odieuse trahison, ébranlé de plus par les secousses croissantes de la Révolution, et craignant que son silence ne lui fût un jour imputé à crime, il résolut de se venger avant de mourir, et de révéler le mystère auquel il avait concouru. Il alla chez le ministre de l’intérieur, Roland, et lui fit sa déclaration. Soit que Roland fût impatient de saisir de nouvelles pièces de conviction contre la royauté, soit qu’il espérât trouver dans ces confidences de la liste civile des preuves écrites de la corruption de Danton, de Marat, de Robespierre lui-même, soit plutôt qu’il craignît de livrer à la Convention des correspondances qui compromettraient ses propres amis, il se hâta comme un homme qui voit sa proie et qui jette une main aussi prompte